Valse avec Bachir - Ari Folman


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article "Le monde" :

Le film mêle astucieusement le documentaire politique et la chronique autobiographique, le film de guerre et la psychanalyse, la transcription de rêves – réminiscences, fantasmes – et l'animation graphique flamboyante. Cette fresque explosive explore l'inconscient d'un Israélien – Ari Folman, confessant que ce film est son "histoire personnelle" – dont les nuits sont troublées par des hallucinations. Jadis soldat expédié à Beyrouth lors de la première guerre du Liban, en 1982, il entend comprendre ce qui le hante, remonter à la source de ses tourments, retrouver trace de ce qu'il a vu, vécu et occulté.

Imaginaire et objectivité sont les deux ingrédients épicés de ce cocktail qui a nécessité quatre ans de travail. Dans un premier temps, Ari Folman a interviewé ses anciens compagnons d'armes pour leur demander d'exhumer leurs propres souvenirs, puis une série de psychiatres qui décryptent leurs visions et cauchemars.

Dans un second temps, ces témoignages ont été transformés en dessins animés, non par le système du rotoscope qui permet de repeindre l'enregistrement vidéo, mais au fil d'une création graphique réaliste (il faut rendre hommage au directeur artistique, David Polonsky) qui permet de reconnaître le profil des protagonistes. A cette enquête se sont ajoutées des scènes de vie privée et des évocations d'épisodes de guerre, eux aussi composés sur une palette graphique vouée à projeter des flashes de terreurs et des songes irréels.

TUERIE DANS UN VERGER

C'est par une séquence fantastique que débute le film : une meute de chiens fous court, tous crocs menaçants, à travers une ville jusqu'à la demeure d'un ancien guerrier. Les spécialistes de la mémoire inventée permettent à Folman et à ses anciens compagnons d'armes d'entamer une thérapie médicale et cinématographique, de dénicher des images effacées du disque dur de leur mémoire. Ils aboutissent aux massacres des Palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila par les phalangistes chrétiens de Béchir Gemayel, pour venger l'assassinat de ce dernier.

Valse avec Bachir est un film sur la peur et sur la culpabilité qui ose montrer ces soldats israéliens comme victimes. Cette interprétation de la guerre par des soldats quelconques met l'accent sur le stress post-traumatique qui les habite, leur culpabilité de rescapés, la douleur d'avoir été impuissants à empêcher cette boucherie non commanditée par leur hiérarchie militaire. Culpabilité attisée par une hantise : ils n'ont pas participé aux massacres mais ne sont-ils pas suspects d'avoir endossé le rôle des nazis durant la seconde guerre mondiale, se demande Folman. Leur chaos psychologique met en effet en regard Sabra et Chatila et le ghetto de Varsovie.

Outre ces morceaux de bravoure que sont l'attaque d'un tank israélien par des milices palestiniennes, une tuerie dans un verger, l'entrée stupéfiante de soldats israéliens dans Beyrouth sous les rafales de snipers, une scène récurrente ne cesse de renvoyer ces jeunes fantassins à l'horreur des camps de concentration : trois hommes surgissant nus de la mer, squelettiques, sortis de l'enfer.

Rien de glamour ni de glorieux dans cette épopée d'hommes qui ne retrouvent leurs ombres que grâce aux expertises freudiennes. Valse avec Bachir est d'ailleurs truffé de signes illustrant le désir et la mort, la sensualité féminine et le refuge marin... Jusqu'à ce que quelques dernières images – des documents d'archives en vidéo et photo cette fois – authentifient les blessures en faisant basculer le film du dessin au drame réel.